Articles classés par consultations

 140. Mt 10, 37-42, XIII Dimanche du Temps ordinaire, A, Réflexion 2023

Sœurs et Frères

    Quand nous ouvrons la Bible de Jérusalem, nous pouvons constater qu’aujourd’hui nous nous trouvons à la fin du « discours missionnaire¹ » du Christ, qui nous occupe depuis trois semaines. Mais avant de parler du texte de ce dimanche, je vais faire un rapide résumé des évangiles précédents, relatifs à ce discours missionnaire. En bref, Jésus envoie ses disciples en mission. Et pour cela Il les a « équipés » du pouvoir nécessaire pour faire le bien autour d’eux - « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons » (cf. Mt 9, 36 – 10, 8, XI Dimanche du Temps Ordinaire). Et dimanche dernier, nous l’avons lu, Il leur a dit qu’ils n’avaient rien à craindre sauf ce « qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps ». A ce sujet, je vous ai parlé de l’importance d’avoir en soi un espace pour la rencontre avec Dieu, dans l’intimité de notre âme. L’âme, ce « principe spirituel » destiné à accueillir la Vie qui vient de Dieu.
     Ainsi, les disciples de Jésus possèdent à la fois le « pouvoir » qui vient de Dieu, et « l’âme » où Dieu peut se poser avec la Vie qui vient de Lui, et nous faire vivre – deux éléments indispensables pour témoigner du Christ.

     Mais il y a encore, je dirais, un « troisième élément » pour que le Christ soit vraiment en moi et touche, par moi, le cœur d’autrui. Et cet élément-là, contrairement aux précédents, est plus difficile à envisager. Peut-être quelqu’un me dira : « Quel suspense ! De quoi parle le frère Bogdan ? » - sourire. Je ne veux pas tenir plus longtemps mes lecteurs en haleine – sourire. Voici la réponse. Dans la première partie de notre évangile, Jésus exige de ses disciples de se renier eux-mêmes pour Le suivre (versets 37-39). Une condition nécessaire pour aller à la suite du Christ, tout aussi claire et bouleversante que les deux autres. Toutefois, on pourrait dire que, dans le texte de Matthieu, il y a une contradiction entre faire du bien à autrui et se renier en oubliant ses proches. Ainsi quand Jésus déclare « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (v 37), Il semble contredire l’exigence de l’amour du prochain ; cet amour si important qu’il est semblable à l’amour de Dieu (cf. Mt 22, 35-40). Cela ne peut laisser personne indifférent, pas même un non-croyant ! Et nous sommes d’autant plus étonnés que Jésus, en tant que Juif, respectait bien les commandements envers les parents (cf. Ex 20,2-17 ; Si 3,12-14). Attention au piège (sourire) ! Jésus ne se contredit certainement pas.

    A notre époque, dans notre langage quotidien, nous n’avons qu’un seul mot pour designer l’amour envers quelqu’un. La Bible est plus subtile pour parler de l’amour et, dans le Nouveau Testament, nous trouvons trois mots grecs différents que nous traduisons toujours par un seul mot - l’amour. Si donc nous regardons de près le texte d’origine de notre verset 37, nous découvrons que - « Le mot grec phileïn (aimer) n’est pas celui qui, dans les évangiles synoptiques, désigne l’amour pour Dieu et le prochain (agapân : Mt 5,43 ; 19,19 ; 2,37-39) ; il a ordinairement chez Matthieu un sens péjoratif (6,5 ; 23,6). Cette parole, à laquelle Luc (14,26) a donné une forme encore plus dure, montre que les liens familiaux, certes légitimes, peuvent devenir des obstacles sur le chemin de ceux qui veulent suivre Jésus ». Autrement dit, dans ce verset 37, il n’est pas question de l’amour charité qui vient de Dieu. Ici nous parlons de l’amour phileïn, qui exprime plutôt un « attachement » purement humain, et qui pourrait être un véritable obstacle pour suivre le Christ. C’est ce qu’évoque très bien la traduction d’André Chouraqui : « Qui me préfère père ou mère ne vaut pas pour moi. Qui me préfère fils ou fille ne vaut pas pour moi »³. Jésus ne met pas en question l’amour des parents. Il veut savoir qui a vraiment la volonté de Le suivre, et de devenir un vrai témoin de sa Bonne Nouvelle dans le monde. Lui-même a donné la preuve que Dieu occupe absolument la première place dans son cœur : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (cf. Lc 8,19-21 ; 11,27-28).

     J’ai entendu autrefois le dicton suivant : « la vie est l’art du compromis ». Moi je dirais plutôt que la vie, surtout pour un chrétien, est l’art du bon choix, quand il s’agit de savoir Qui ou quoi occupe la première place dans mon cœur et quel est le « principe spirituel » de ma vie. Parce que ma vie ne dépend pas de compromis mais de bons choix qui font grandir mon âme et mon cœur et dont je tire le plus grand bénéfice. Parce que le meilleur des choix me permet de forger mon « principe spirituel » - mon âme, et en même temps de m’épanouir dans mon humanité.

    Peut-être quelqu’un me dira ceci : « Bogdan c’est trop radical tout ça ». Et moi je pourrais lui répondre : « Est-ce que tu voudrais vivre en couple avec une personne qui n’est pas sûre d’elle-même ? Est-ce que tu voudrais aller à la guerre avec quelqu’un sur qui tu ne pourrais pas compter ? A qui voudrais-tu confier un poste dans ton entreprise : à quelqu’un qui fait son travail avec passion ou à quelqu’un qui veut seulement gagner un peu plus d’argent que précédemment ? »

Bon Dimanche à chacune et chacun de vous – sourire.
Votre frère Bogdan

P.S. Et si, au moment de donner de ma vie, j’avais écouté quelques personnes de mon entourage, vous n’auriez pas eu cette « chance incomparable » de rencontrer Bogdan – veuillez m’excusez mes chers lecteurs, ma modestie naturelle est parfois plus forte que moi – clin d’œil et sourire.

**********
¹ Cf. Bible de Jérusalem, édition Cerf 2000.
² Selon la note de la TOB pour le verset Mt 10,37– Traduction œcuménique de la Bible, édition Cerf 2012.
³ Cf. https://nachouraqui.tripod.com/id61.htm