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Mgr Hervé Giraud : « La foi n’a rien à craindre de la raison et des confrontations », La Croix, Hervé Giraud, le 15.12.2021

Hervé Giraud
Archevêque de Sens-Auxerre et prélat de la Mission de France
TRIBUNE. À l’heure du complotisme et des fausses informations, Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre (Yonne), s’alarme du recul du recours à la pensée rationnelle, dont nul n’a à craindre l’exercice, pas même les croyants.

Mgr Hervé Giraud, le 15/12/2021 à 14:31
Lecture en 3 min.
Mgr Hervé Giraud : « La foi n’a rien à craindre de la raison et des confrontations »
Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre (Yonne), s’alarme du recul de l’usage de la raison, qu’il faut selon lu retrouver collectivement.

Où est passée la simple raison, la « raison droite » ? Aurait-elle disparu ? Se serait-elle appauvrie, brisée, évanouie ? Le dialogue entre personnes raisonnables serait-il devenu impossible ? À moins que l’individualisme n’ait affecté la raison, lui faisant perdre toute capacité d’entrer en dialogue, au point de rendre impossible tout débat intelligent : une raison myope, en quelque sorte, incapable d’embrasser un autre point de vue.

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Pourtant, par la médiation des réseaux sociaux ou des nouveaux aréopages, il n’est pas rare qu’une belle pensée puisse émerger là où on ne l’attendrait pas, par la grâce d’une expérience relatée ou d’une vidéo bien pensée. Mais, malheureusement, il n’est pas vraiment sûr que ce genre de parole juste soit devenu majoritaire, loin de là : tous les mots des réseaux ne sont pas réfléchis ; les réactions priment souvent sur les réflexions ; les polémiques s’alimentent elles-mêmes aux sources de cette effervescence réactive.

Gabriel Marcel remarquait déjà que le monde « semble bâti sur le refus de réfléchir ». Il rejoignait l’amertume de Paul Valéry observant que « chaque pensée est une exception à une règle générale qui est de ne pas penser ».

Complotisme et crise de la raison
La faiblesse de la raison se distingue à travers la piètre attention portée à un minimum d’objectivité et de connaissance des faits. L’émergence exponentielle des complotismes ou fake news pose des questions encore plus profondes sur la crise de la raison.

Dès lors, où et comment pouvons-nous apprendre à réfléchir ? En prenant en compte les multiples formes de raison – spéculative, pratique, scientifique, communicationnelle –, par quel exercice de cette raison pouvons-nous recouvrer une culture du débat raisonnable ? Il conviendrait sans doute de commencer par réfléchir sur soi-même. Saint Thomas d’Aquin écrivait qu’« une fois que l’homme a commencé à avoir l’usage de la raison (…), la première chose qui doit se présenter à sa réflexion, c’est de délibérer sur lui-même ».

C’est bien la tâche première des familles et des écoles que d’apprendre aux enfants et aux jeunes à réfléchir : la raison s’éveille et s’entretient dans l’ordinaire des décisions, à prendre ou à faire prendre.

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Ainsi, après soi-même, l’usage de la raison doit progresser collectivement. Créer des lieux de parole est plus qu’une nécessité à visée démocratique et, pour l’Église, une urgence synodale. Une pensée élaborée collectivement devient le plus fort rempart contre l’arbitraire décisionnel qui prend en Église l’aspect du cléricalisme. Pour ne tomber ni dans l’anti-intellectualisme, ni dans la réaction stérile, il conviendrait d’encourager à participer aux débats qui nous concernent dans les associations, les conseils, les assemblées de toutes sortes, etc.

La raison progresse en effet quand elle ne vise pas seulement à écouter chez l’autre les idées qu’elle a déjà, mais cherche bien à écouter les autres et même à sauver leur point de vue. Comme le remarque le journaliste Bernard Lecomte, ce qui détruit la raison« c’est la bêtise, le mensonge, l’inculture, l’émotion, la colère, la violence, l’irrationnel ». La raison progresse donc quand elle tient en éveil son esprit critique qui dépasse ce déplorable esprit de critique. Là où l’esprit critique réclame des raisons… l’insulte s’en dispense.

Perdre la raison…
Aujourd’hui, la post-modernité court le risque de perdre la raison qui l’a pourtant construite. La République est fondée sur la raison, l’Église sait aussi combien elle lui doit dans son apport nécessaire à la foi. Une raison humble ouvre à la réciprocité de la foi ; la foi est elle-même fruit de l’humilité. La foi chrétienne s’est toujours alliée avec la recherche de la vérité et non avec la coexistence relativiste de simples opinions ou réactions. La foi n’a rien à craindre de la raison et des confrontations.

Dans l’Église, comme dans tous les lieux de vie en société, il nous faut donc retrouver l’usage et l’estime de la raison, comme aussi le goût de la recherche de la vérité. Benoît XVI résumait parfaitement l’enjeu : « Nous sommes frileux sur les capacités de raison, et nous la déprécions. La raison humaine participe du logos divin. Il faut une conception rénovée de la raison. » Il pouvait ainsi faire remarquer que « ce ne sont pas la religion et la violence qui vont ensemble, mais la religion et la raison ». Pour les chrétiens, ne pas faire confiance à la raison serait contraire à la volonté de Dieu.

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Ainsi, une société laïque ne peut se contenter de faire respecter les convictions juxtaposées des uns et des autres. Elle ne peut pas se contenter d’une vague tolérance mutuelle, et encore moins d’une ignorance réciproque. La fraternité ne se construit réellement qu’entre ceux qui croient à l’intelligence, aux débats, au dialogue. Le Christ a toujours privilégié le « dialogue du salut » avec ceux qu’il rencontrait. Face à Pilate, il n’a cédé qu’ultimement, par un silence et non des invectives, à la question du procurateur : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18, 38).

Il montrait ainsi que la conscience de son interlocuteur doit bien être respectée comme le for de la raison. Sans ériger le débat raisonnable en garantie de fraternité, encourageons-le comme permettant au moins à la parole de devenir un instrument de concorde.