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Les tribunaux ecclésiastiques, un cléricalisme à la française, Alain Henry, La Croix le 16.09.2020

Tribune Alain Henry, sociologue. La réforme des nullités de mariage tarde à être mise en œuvre en France, regrette l’auteur de cette tribune
La Croix le 16/09/2020 à 11:46
Lecture en 3 min.
Les tribunaux ecclésiastiques, un cléricalisme à la française
Un mariage à l’Eglise

Faisant écho à votre article paru le 2 juillet sur la réforme des nullités de mariage, et ayant personnellement accompagné un proche devant l’Officialité de Paris, je souhaite apporter un témoignage, donner un éclairage sur la résistance à se réformer des tribunaux ecclésiastiques français, et en appeler à la sollicitude des évêques.

La réforme demandée par le pape François en 2015 à la suite d’un synode visait à obtenir la « rapidité des procès », la « gratuité des procédures » et une plus grande « proximité [pastorale] du juge et des fidèles » [1]. Elle insistait enfin sur le rôle de « vigilance » (le sens du mot episkopos) de l’évêque, en demandant que celui-ci ne délègue « pas entièrement » la fonction de juge, « dans les grands comme les petits diocèses », afin de donner le signe de la réforme. Mais, cinq ans après, la réalité semble encore loin de cette visée apostolique.

→ ENQUÊTE. Où en est la réforme des nullités de mariage ?

Dans le cas dont je peux témoigner, la réforme n’a guère eu d’effets. Concernant la rapidité – afin, dit le motu proprio que « le cœur des fidèles ne soit pas longtemps [dans] les ténèbres du doute » –, la procédure a duré quatorze mois, dont onze mois pour que le juge lise un dossier d’une quarantaine de pages relatant une histoire d’une évidente banalité.

Concernant la gratuité – de même que les sacrements le sont, souligne François –, le prix indiqué a été d’un demi-mois de salaire, sans que soit offerte la possibilité de le diminuer, alors que le demandeur vit sous le seuil imposable et avec un handicap à 80 %. Ce ‘’don’’ tarifé a été perçu sans indication de destination des fonds, ni reçu… en totale contravention du droit français… et dans une position qui pourrait être qualifiée d’« abus de faiblesse ».

Pour ce qui est enfin de la « sollicitude pastorale », la procédure a été une suite d’humiliations (sarcasmes du juge sur des personnes, absence de l’avocat à l’audience, libellé du jugement). Des demandes particulières, justifiées par le handicap du requérant, ont essuyé des fins de non-recevoir au seul motif d’une « stricte égalité dans les procédures » (parfaite devise bureaucratique).

→ LIVRE. Contester une demande en nullité de mariage, un éprouvant « marathon canonique »

Ce cas est loin d’être isolé. Les actes [2], parus en juillet, d’un colloque de la Faculté de théologie de Strasbourg révèlent un nombre impressionnant de situations, dans toutes les procédures canoniques, où « est ressenti un mépris de la personne » : absence de dialogue, misogynie, négligences, incurie, absence de contrôle des actes, etc. À ces maux bureaucratiques, il faut ajouter les recours adressés aux diocèses restés sans réponse ou n’ayant obtenu qu’une réponse de forme.

Comment se fait-il qu’une réforme voulue par un synode avec la volonté « apostolique de rejoindre des fidèles dispersés » soit si peu effective en France ?

Les propos des clercs, cités dans votre article du 2 juillet (repris ci-après entre guillemets), jettent là-dessus une lumière sans équivoque. Leur opposition à la réforme ne repose sur aucun motif pastoral mais sur des arguments de souveraineté, profondément enracinés dans la culture française[3]. Leurs propos font abondamment mention de ce « qu’ils estiment », se montrant plus prompts à régler leur conduite selon leurs traditions qu’à écouter les demandes des Églises. Au sujet de la gratuité, « la procédure, dit l’un d’eux, ne peut pas (sic) être gratuite », étant sourd à la directive du motu proprio. « Nous avons tous compris, explique un autre, que cela concernait d’autres pays. » Quant aux délais, les intéressés opposent l’argument usé d’un « manque de personnel », sans s’interroger sur leur diligence, ou sur leurs réticences à simplifier les procédures.

→ QUESTION. Les nullités de mariage

Les initiateurs de la réforme, anticipant des résistances, avaient expressément prévu que « les évêques eux-mêmes donnent le signe de la conversion des structures ecclésiastiques » en s’investissant dans cette fonction judiciaire. Mais c’était sans compter avec un attachement de chacun – très français aussi – aux prérogatives de sa charge. Le fait que l’évêque diocésain puisse juger certains cas est perçu comme « posant problème » : les tribunaux « peinent » à désigner des « cas évidents » pouvant lui être laissés sans risques « d’erreurs ». Quant aux évêques, préférant probablement ne pas affaiblir « le poids de la fonction » en s’ingérant, la plupart « ne s’estiment pas suffisamment compétents » pour le rôle de juge.

Au final, la souveraineté bureaucratique des tribunaux demeure inchangée, laissant cours à leurs parts de négligences, d’abus de pouvoir et d’inhumanités. Pendant ce temps, ceux qui subissent leurs dommages perdent confiance dans l’Église et la quittent « sans faire de bruit »[4], livrés à leur seule amertume. Une prise de conscience des évêques sur ce scandale invisible paraît nécessaire. Pour vaincre les résistances culturelles particulières, on songe qu’il faudrait aussi instituer « des visites canoniques régulières, comme cela se fait dans les monastères, afin d’aider la communauté diocésaine et son évêque à rester dans le droit fil de l’Évangile. »[5]

[1] Motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus (« le Seigneur Jésus, juge clément »), août 2015.

[2] Voir le texte d’Anne Bamberg, dans A. Ky-Zerbo (coord .), Appartenances et ruptures : les baptisés face à l’institution ecclésiale catholique aujourd’hui, Ed. du Cerf.

[3] Philippe d’Iribarne, L’étrangeté française, Points Seuil.

[4] A. Bamberg, Op. cité.

[5] Ghislain Lafont, Le catholicisme autrement ? Ed. du Cerf.