Regroupe trois villages: GIGEAN, POUSSAN et MONTBAZIN
Père Bogdan LESKO, curé.

ANNONCES du 27 avril au 12 mai 2024

(Historique de l'agenda)

La vie selon les Gafa, Alexis Jenni, La Croix 28.04.2020

Nous autres confinés, vivons la vie rêvée par les Gafa. Cet acronyme désigne les quatre entreprises qui ont pris un terrible ascendant sur nos vies. Google, Apple, Facebook, Amazon. Elles sont géantes, omniprésentes, richissimes, et portées par la vision d’une poignée d’hommes, Brin, Jobs, Zuckerberg, Bezos. Ce qui est terrifiant, c’est que ces entreprises ont une vision, ce qui est doublement terrifiant, c’est qu’elles ont une éthique, l’une et l’autre développées par leurs fondateurs qui en ont été les infatigables porte-parole. Elles nous construisent un avenir qu’elles ont inventé, et qu’elles trouvent très aimable. « Ne faites pas le mal », dit ingénument Google, sans préciser quelle est leur conception du mal, ni leur moyen d’aller vers le bien, sauf si on prend les services qu’ils proposent comme une réponse à la question. Effrayant, dis-je.

Laissons Amazon, ce n’est que de la piraterie, mais examinons Facebook. Entendre Zuckerberg parler des valeurs de Facebook est assez stupéfiant. Il se contente de répéter : « Se connecter, c’est bien ; quand tous seront connectés, le mal disparaîtra. » Je suis toujours surpris et troublé de cette naïveté, et me demande si cet homme est un commercial cynique, un naïf qui a la vision du monde et l’intelligence émotionnelle d’un gamin de douze ans, ou si c’est un clone muni d’une intelligence artificielle, brillant tacticien mais très éloigné de l’humain.

Mais grâce à l’épidémie, nous y voilà enfin dans le monde rêvé par les Gafa : un monde d’individus éparpillés, dont le seul collectif est familial, dont toute l’activité, dans tous les domaines, se fait à distance, par connexion. Restez chez vous ! Apple vous offrira ses machines, Google vous trouvera toutes les informations nécessaires, Facebook vous permettra de garder le contact avec vos amis, Amazon vous apportera tout objet matériel impossible à télécharger. Restez chez vous, on s’occupe de tout ! Et tellement bien que vous pourrez rester chez vous tout le temps, toute la vie. Pourquoi s’embêter à sortir, à se risquer dans les rues encombrées, à supporter les lenteurs et les rigidités des relations réelles, à perdre le temps dans les transports alors que tout, absolument tout peut être délocalisé et dématérialisée. On n’est pas bien, comme ça ?

Avouons-le, on est mieux en confinement avec cette quincaillerie que sans, parce que sans téléphone et sans Internet ce serait bien pire qu’avec, ce serait un isolement radical, monacal, carcéral, et on n’est pas tous faits pour ça. Mais face à un virus qui attaque notre humanité en détruisant le lien physique, nous avons recours à des solutions techniques qui atteignent notre humanité en tordant la forme des liens. Vivre enfermé, relié au monde et aux autres à travers des écrans de verre, c’est une vie de machine intelligente, c’est-à-dire stupide. Dans la vie rêvée par les Gafa, il y a un devenir-autiste, un enfermement, une dématérialisation, une décorporisation, que l’on trouve plaisante au départ puisque ça évite les désagréments de la confrontation réelle, mais qui nous épuise à moyen terme car nous ne sommes plus nourris par la confrontation réelle. Nous avons beau avoir une intelligence très développée, nous avons gardé ce corps de grands singes qui a besoin de toucher, qui a besoin du groupe, de la horde, d’être ensemble et de se regarder les uns les autres en sentant la bonne odeur humaine, qui rassure plus que celle d’un ordinateur qui chauffe.

Comment faire de l’enseignement sans présence réelle ? Un professeur en collège difficile de la banlieue nord m’a rapporté que les deux tiers de ses élèves ne répondent plus à l’enseignement à distance qui a été mis en place, on ne sait pas où ils sont. Bon, ils n’étaient pas très attentifs en classe, mais ils venaient, ils avaient l’occasion de saisir quelque chose, d’évoluer. Là, non. On peut tout apprendre sur Internet, si on est déjà équipé, entouré, formé, privilège des classes aisées.

Comment prendre soin sans présence réelle ? Comment rendre grâce et célébrer sans présence réelle ? Comment aimer sans présence réelle ? Grâce aux Gafa, enfermés que nous sommes, nous pouvons toujours vivre, nous pouvons toujours faire semblant de vivre, nous pouvons assurer le quotidien en attendant, mais sans nourrir notre humanité. C’est bien là la vie rêvée par les Gafa, cet idéal de cyborg rationnel, d’intelligence artificielle et d’objets connectés, où ce qui fait l’humanité profonde n’est même pas compris. Nous vivons en ce moment la sombre utopie de la Vallée du Silicone, qui au début ne paraît pas si mal, et à la fin nous tue.