Regroupe trois villages: GIGEAN, POUSSAN et MONTBAZIN
Père Bogdan LESKO, curé.

ANNONCES du 21 au 28 avril 2024

(Historique de l'agenda)

Les vertus spirituelles de l’ennui. Christophe Henning. La Croix 17.01.2020

Il y a bien deux faces à cette même pièce qu’est l’ennui : ce sentiment de vide, d’inutilité. Mais aussi cette ouverture, une certaine disponibilité. - Serge Picard / Agence VU

Nous arrive-t-il de nous ennuyer ? Que pouvons-nous faire de ce temps perdu ? Et si c’était l’occasion d’une plongée intérieure ?

Tout a commencé dans mon église paroissiale où, enfant, tôt le matin, je servais la messe à deux reprises, la première étant dite par l’abbé, la seconde, interminable, par le curé. Les deux services étaient devenus pour moi une corvée, raconte Jean-Paul Kauffmann dans son dernier livre (1). Je m’ennuyais ferme, comme dans les grandes messes du dimanche qui n’en finissaient pas, prolongées l’après-midi par les vêpres tout aussi assommantes. » Avant d’ajouter : « Cet ennui a fondé l’homme que je suis devenu. Dans les interstices de ce rituel, mon esprit s’introduisait et parvenait à prendre son envol. La tête dans les nuages, j’étais en fait très actif. »

S’ennuyer… c’est bon pour les enfants, et encore : tous les éducateurs se désespèrent de voir les enfants d’aujourd’hui débordés, hypersollicités. L’ennui résonne comme une perte, une faute, une incapacité à « faire », à être utile. Nous n’avons plus le temps de nous ennuyer, nous courons à la recherche du temps perdu, comme s’il fallait rentabiliser chacune des quelque 650 000 heures que la vie nous réserve en moyenne. Pas une minute à perdre !

Que faire de l’ennui ? On bute sur le mot, son côté négatif. Pour Hélène L’Heuillet, auteure d’Éloge du retard (2), « qu’est-ce qu’une vie sinon du temps ? ». Chasser l’ennui, c’est une aspiration de toute-­puissance : « Tout ce qui nous rappelle notre finitude est devenu insupportable », explique la psychanalyste et philosophe pour qui il ne faut pas avoir peur de l’ennui. À condition de le traverser : « Le vrai ennui qui dure est une torture, c’est la torture du vide qui peut conduire à l’isolement et à la haine de soi ou des autres. »

Il y a bien deux faces à cette même pièce qu’est l’ennui : ce sentiment de vide, d’inutilité. Mais aussi cette ouverture, une certaine disponibilité. « L’ennui provoque toujours une première phase d’inconfort, explique Odile Chabrillac, naturopathe (3). Il faut laisser un peu de temps pour accéder au “vide plein”, c’est-à-dire à cette ouverture à autre chose que le monde matériel, à ce qui peut donner du sens à l’existence. »

« Ce qu’on appelle ennui peut être un véritable espace de créativité, souligne l’écrivaine Colette Nys-Mazure. La vie file, il est indispensable d’installer des moments intérieurs dans le flot du quotidien. » Une aspiration partagée par les chercheurs de sens contemporains, adeptes du zen, de la méditation de pleine conscience. Colette Nys-­Mazure se lève tôt et préserve deux à trois heures de lecture, de méditation, d’écriture : « Pendant ce temps, je ne fais rien de rentable… »

Il ne s’agit pas de faire de l’ennui une valeur en soi : c’est dans le mouvement même de l’existence qu’il s’inscrit, tout comme l’action. C’est une question d’équilibre : « Il y a un cycle à respecter qui nous met dans le rythme juste de l’existence, explique Odile Chabrillac. Nous savons que nous avons besoin d’espace de rien… » Et pourtant, nos agendas sont chargés, notre téléphone portable toujours à portée de main. « Il y a quelque chose du ”trop faire” dans la société d’aujourd’hui, qui peut aller jusqu’au burn-out, ce fusible qui est en fait un processus de sauvegarde face à la sursollicitation. »

Place à l’ennui donc. Pas seulement pour préserver la santé physique et psychique : Odile Chabrillac insiste : « L’ennui fait de la place en nous, il donne accès à une autre dimension, permet de se connecter à plus grand que soi ou au plus grand de soi en soi. » Cette quête intérieure existe dans toutes les religions : « L’homme n’est jamais moins seul que lorsqu’il est seul », énonçait déjà Cicéron. Mais qui ne s’est jamais ennuyé avec soi-même ? Et que dire de l’ennui qui vient contaminer la méditation ou la prière ? « Mon Dieu, je ne vous aime pas, je ne le désire même pas, je m’ennuie avec vous », écrit la poétesse Marie Noël, en voie de béatification.

Les moines le savent bien, parfois sujets à l’acédie, sorte de dépression spirituelle, quand rien ne se passe. L’ennui peut être aussi le lieu du combat, en raison une fois encore de son ambiguïté, tout à la fois vide vertigineux et espace fécond. « Marie Noël a combattu le démon lors de sa vie spirituelle, explique Chrystelle Claude de Boissieu (4). Le chrétien dans la solitude est en danger, mais l’ennui n’est pas stérile, c’est une plongée dans le vide où Dieu est. »

Accepter l’ennui qui va conduire à l’intériorité, c’est quitter les sécurités, faire l’expérience profondément spirituelle de l’inattendu, que ce soit lors d’une célébration, d’une retraite, d’un pèlerinage. « Sur le chemin de Saint-Jacques, il m’est arrivé d’éprouver une sorte d’ennui inconnu jusqu’alors. Dans les paysages désertiques comme le plateau de l’Aubrac, il y a peu de relief auquel accrocher son regard, peu d’arbres qui puissent servir de cap, explique Gaële de La Brosse (5). Et c’est alors qu’au fil des heures, l’ennui s’installe : le manque (de relief, de distractions, etc.) engendre le vide qui ne demande qu’à être rempli, et la marche devient alors méditative, voire priante. »

Difficile d’emprunter ce chemin de prière dans le tumulte des journées bien remplies. C’est pourtant le conseil de Madeleine Delbrêl : « Partez dans votre journée sans idées fabriquées d’avance, et sans lassitude prévue, sans projets sur Dieu, sans souvenir sur lui, sans enthousiasme, sans bibliothèque, à sa rencontre. Partez sans carte de route pour le découvrir, sachant qu’il est sur le chemin et non au terme. »

« Courir, multiplier les réunions, tenir le rythme, j’ai appris ! », confie le père Raphaël Buyse (6). Désirer l’ennui, c’est abandonner l’impérieuse nécessité de « faire des choses » pour accueillir la vie et y déceler des traces de Dieu : « Il y a des moments de ma vie où je n’ai rien à faire, je flâne, je me laisse toucher, je laisse aller la vie », explique le prêtre du diocèse de Lille. L’ennui ouvre à une disponibilité, creuse une soif : « Je préfère même le mot de ”vacance”, au singulier, cet espace intérieur qui devient disponible, qui n’est pas parasité par la volonté. » Longtemps accompagnateur de jeunes à Taizé, le père Buyse a vu ces lycéens agités se glisser dans la prière des frères. Doucement l’ennui s’installe. « Alors, quelque chose se déchire dans le silence et ouvre à l’essentiel. »

« La vie file, il est indispensable d’installer des moments intérieurs dans le flot
du quotidien », souligne Colette Nys-Mazure. - Agathe Poupeney/Divergence

repères

Ce qu’en dit la Bible

« C’est le Seigneur qui marchera devant toi, c’est lui qui sera avec toi ; il ne te lâchera pas, il ne t’abandonnera pas. Ne crains pas, ne t’effraie pas ! » (Dt 31, 8)

« Dieu est pour nous refuge et force, secours dans la détresse, toujours offert » Ps 45, 2.

Ce qu’en dit Thérèse de l’Enfant-Jésus

« La vie n’est qu’un instant, une heure passagère. Tu le sais, ô mon Dieu, pour T’aimer sur la terre, je n’ai rien qu’aujourd’hui. Si je songe à demain, je crains mon inconstance, je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui. Mais je veux bien, mon Dieu, l’épreuve, la souffrance rien que pour aujourd’hui. »

Ce qu’en dit le pape François

« Le chrétien n’est pas fait pour l’ennui ; plutôt pour la patience. Il sait que, même dans la monotonie de certains jours toujours pareils, se cache un mystère de grâce. Il y a des personnes qui, par la persévérance de leur amour, deviennent comme des puits qui irriguent le désert. Aucune nuit n’est longue au point de faire oublier la joie de l’aurore. » Audience du 11 octobre 2017, place Saint-Pierre.

(1) Venise à double tour, de Jean-Paul Kauffmann, Équateurs, 2019.

(2) Éloge du retard, d’Hélène L’Heuillet, Albin Michel, 2020.

(3) Petit éloge de l’ennui, d’Odile Chabrillac, Jouvence, 2011.

(4) Portraits intimes de Marie Noël, de Chrystelle Claude de Boissieu, Desclée de Brouwer, 2019.

(5) Le Petit Livre de la marche, de Gaële de la Brosse, Salvator, 2019.

(6) Autrement, Dieu, de Raphaël Buyse, Bayard, 2019.

***

Entretien
« L’ennui est une condition de la vie intérieure » La Croix le 17.01.2020
Recueilli par Christophe Henning

« Cette vie dépouillée, silencieuse, vide, en lien intime avec le cosmos, accordée avec les saisons, se confond avec la prière. » - Charity Thomas/Hans Lucas

Charles Wright Écrivain Biographe du moine trappiste André Louf (1), Charles Wright analyse les différentes voies spirituelles aujourd’hui. Historien de formation et écrivain, il vit actuellement dans un monastère en Ardèche et expérimente l’ennui.

Dans le monde d’aujourd’hui, on chasse l’ennui, le temps perdu : vous avez choisi de fuir la ville…

Charles Wright : Je suis un fils de la ville et de l’hypermodernité, avec sa recherche constante de nouveauté, d’intensité, sa saturation du temps. Un jour, je n’ai plus supporté cette frénésie. J’ai éprouvé une soif immense de vide, de lenteur, le désir de renouer avec l’élémentaire, avec la simplicité, avec l’os des choses. Depuis quelques mois, je fais l’apprentissage de la vie solitaire dans un prieuré en Ardèche où deux frères perpétuent une vie monastique dans un grand dénuement, une grande simplicité de vie.

Qu’est-ce que vous attendez de ce recul, de cet « ennui » possible ?

C. W. : Les frères me martèlent : « Dans la vie monastique, il faut être prêt à tout mais surtout… à rien. » Depuis que je vis dans cette vallée escarpée, âpre et sauvage, je vérifie la profondeur de cet apophtegme. Ici, l’environnement est pauvre, sans sollicitations relationnelles, intellectuelles, sans dérivatif. Le regard bute contre les montagnes alentour, il n’y a pas d’échappatoire. Dans ce cadre dépouillé affleure l’humble vérité des choses dans leur nudité. Cela fait un bien fou.

N’avez-vous pas l’impression d’un véritable ennui ?

C. W. : Ici, l’ennui, la monotonie guettent. Rythmé par la liturgie et les saisons, chaque jour se ressemble. Avec les frères, je fends des bûches, je gratte la terre, je remonte des murs de pierre sèche, je prends soin d’un petit troupeau de moutons. C’est une vie au grand air, où je renoue avec quelque chose d’élémentaire, avec l’humus. C’est aussi une école de réalisme, d’humilité. Il me semble que cette vie dépouillée, silencieuse, vide, en lien intime avec le cosmos, accordée avec les saisons, se confond avec la prière.

L’ennui peut-il porter des fruits ?

C. W. : L’ennui, la langueur du temps nous ouvrent à des vérités que la vitesse et le trop-plein nous dissimulent. En laissant infuser les heures, on donne aux objets, aux paysages, aux personnes la possibilité de déployer leurs nuances. Dans le rythme lent et monotone d’une vie monastique, les sensations, moins nombreuses, deviennent plus denses, plus riches. En décélérant, l’existence gagne en profondeur, on devient attentif aux fêtes de l’instant, ces petits riens qui révèlent leur poids de beauté et de mystère : les sonnailles des moutons, le passage d’un oiseau, le bourdonnement du ruisseau, le visage d’une retraitante…

Mais l’ennui peut être sec, sans perspective, douloureux…

C. W. : C’est aussi une épreuve. Le vide dépouille, dénude, révèle notre propre chaos intérieur. Tout ce qui farde le personnage social s’en va. Bientôt, il ne reste plus rien, si ce n’est notre paquet de pauvretés et de misères. On se retrouve les mains vides, le cœur brisé et broyé. C’est alors que la grâce de Dieu peut opérer. Les réalités du Royaume ne font jamais de bruit, elles se manifestent discrètement, à basse intensité, jamais de façon appuyée. L’ennui, qui va avec le silence et la solitude, est une condition de la vie intérieure.

Comment les chrétiens peuvent-ils faire entendre cette invitation ?

C. W. : Selon moi, l’Église est sans doute trop prise dans le tropisme occidental du « faire », alors qu’il faut apprendre à « être » tout simplement. La prière, la docilité à l’Esprit sont la source réelle de tout renouveau, le commencement intérieur de toute réforme. Les chrétiens croient à tort qu’il faut produire des choses alors que leur présence suffit. Ne rien faire, juste être là, c’est l’acte le plus intense. C’est aussi le plus dur !

(1) Le Chemin du cœur. L’expérience spirituelle d’André Louf, Charles Wright, Salvator, 2017.