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 "Soigner" le malheur par la mort, vraiment ? Luc Ferry, Le Figaro - jeudi 13 avril 2023
Opinions

Contrairement à la plupart de mes amis philosophes auxquels la grande presse a donné volontiers la parole de préférence à ceux qui n'étaient pas dans la ligne, je suis et reste fermement opposé à ce qu'on légalise, comme en Suisse, le suicide assisté dans le cas de personnes qui ne sont ni malades physiquement, ni en fin de vie.

Je connais bien le raisonnement de nos matérialistes : s'il n'y a plus "d'après", si l'homo democraticus ne croit plus en la possibilité d'un avenir radieux sur la terre comme au ciel et si, dans ces conditions, le calcul des plaisirs et des peines est devenu sa seule et unique boussole pour évaluer le sens d'une vie, de quel droit empêcherait-on cet individu ivre de liberté de recourir au suicide aSsisté ? Et pourquoi pas à l'aide d'un médecin pour mettre un terme à son existence si la faculté lui apprend un jour que ses souffrances, fussent-elles seulement psychiques, risquent désormais de l'emporter sur les moments de joie ?

C'est bel et bien en ces termes que l'homo democraticus réfléchit désormais à la fin de vie comme l'indiquent assez les conclusions dela convention citoyenne qui fut consacrée à ce sujet. Sans surprise, elle ne fit que rejoindre l'opinion majoritaire des Français : plus de 80 % d'entre eux souhaitaient une modification de la loi ouvrant la voie, comme dans plusieurs pays européens, au suicide assisté, voire à une euthanasie qui requiert l'intervention d'un médecin, le fait de donner la mort étant dès lors assimilé, de façon, à mon sens, exorbitante, à un soin. La plupart des intellectuels ont, une fois n'est pas coutume, rejoint l'opinion commune.

Je voudrais tenter malgré tout de remonter la pente en étant aussi clair et argumenté que possible sur un sujet d'autant plus délicat qu'il est devenu radioactif, donc peu ouvert à la nuance, à l'image du climat, des retraites ou de la guerre en Ukraine. S'il s'agit de légaliser la possibilité d'adoucir, voire d'abréger les souffrances de personnes réellement en fin de vie, de malades dont la douleur et la mort imminente sont irréversibles, bref, de s'opposer activement à l'acharnement thérapeutique, je puis parfaitement comprendre qu'on y soit favorable. 

En vérité, la loi actuelle le permet déjà dans une large mesure, mais si on peut l'améliorer encore sur ce point, pourquoi pas ? En revanche, si on prétend répondre par la mort à la dépression et à la souffrance psychique de personnes qui ne sont ni en fin de vie, ni physiquement malades, mais qui sont simplement, comme on dit en Suisse, "fatiguées de la vie", alors je pense qu'il faut s'y opposer de toutes nos forces. Ce serait tout simplement ouvrir la porte à un monde dans lequel on en viendrait de manière insensée à traiter le malheur comme une maladie, un monde dans lequel on se débarrasserait par la mort de ce que Levinas appelait la "responsabilité pour autrui".

Il suffit de s'entretenir avec des médecins qui travaillent dans des services de soins palliatifs pour savoir que, très souvent, ils reçoivent des personnes qui demandaient au départ une euthanasie, mais qui changent d'avis dès lors qu'elles comprennent qu'on ne les laissera pas tomber, qu'on prendra soin d'elles sur le plan physique et psychique, et qu'on le fera "jusqu'au bout" en accompagnant la vie jusqu'à la mort.

Nous avons écrit, Axel Kahn et moi, un livre sur ce sujet et, bien que tous deux agnostiques, nous sommes tombés d'accord pour nous opposer à la légalisation du suicide assisté "pour tous". Lui, qui le savait d'expérience, me disait que dans la plupart des cas qu'il avait eus à connaître, la demande de mort cachait une demande d'attention et de bienveillance, pour ne pas dire d'amour, de sorte que le souhait d'en finir s'estompait dès que cet appel était pris en compte. En outre, les derniers instants offrent souvent la possibilité de vivre avec ses proches des moments de vérité irremplaçables, des moments infiniment précieux qu'un matérialisme basique associé à une conception simpliste de la liberté voudrait abolir.

En faisant du calcul des plaisirs et des peines le seul et unique critère du sens de la vie, on risque fort d'ènvoyer à tous ceux qui, isolés, mal aimés ou tout simplement vieux et dépressifs, le message qu'ils feraient mieux de "dégager ", un message inhumain, irresponsable au sens propre du terme, que, croyants ou non, nous nous devons de refuser. Traiter le malheur, la dépression ou l'angoisse par la mort au lieu d'y répondre par philia et agapè ne serait pas un, progrès, mais une régression tout simplement barbare.