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Michel Fédou sur Benoît XVI : « Une théologie qui rappelle la raison moderne à ses propres limites ». Élodie Maurot, La Croix le 11.01.2023

entretien
Michel Fédou
Jésuite, professeur de patristique et de théologie dogmatique
Le théologien Michel Fédou, Prix Ratzinger en 2022, revient sur l’œuvre théologique du pape Benoît XVI et en éclaire les grandes thématiques : le lien entre foi et raison, l’idée d’une responsabilité spécifique du christianisme dans la société…

Recueilli par Élodie Maurot, le 11/01/2023 à 18:41
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Lecture en 4 min.
Michel Fédou sur Benoît XVI : « Une théologie qui rappelle la raison moderne à ses propres limites »
Le pape Benoît XVI lit un livre à Castel Gandolfo en Italie, la résidence d’été des pontifes, le 23 juillet 2010.
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La Croix : Que retenez-vous de Joseph Ratzinger théologien ?

Michel Fédou : Son insistance sur le lien entre foi et raison, entre raison et religion. C’est un thème constant et récurrent dans son œuvre. Pour lui, cela s’enracine dans le témoignage de l’Église ancienne, étant donné l’importance que le christianisme des premiers siècles a donnée au logos, à la raison.

(À lire aussi« Benoît XVI chercha à panser les blessures de son Église dont il a vécu les souffrances de l’intérieur »)

À ses yeux, la rencontre du christianisme avec le logos grec n’est pas un pur hasard, mais quelque chose d’absolument essentiel. Ce qui est en jeu, c’est la capacité de la foi à s’exprimer et à rendre compte d’elle-même dans un langage crédible.

Cette articulation a pour corollaire de rappeler à la raison l’importance de la foi…

M. F. : Tout à fait. Joseph Ratzinger n’a cessé de dénoncer une raison qui ne serait pas ouverte à une transcendance. On voit cela de manière assez exemplaire dans son dialogue avec le philosophe Jürgen Habermas, à Munich en 2004, autour du rapport entre raison et religion. Joseph Ratzinger y défend que le droit démocratique et la raison séculière ne sont pas toujours en mesure de juguler l’emploi de la force.

Cependant, il reconnaît aussi que les religions n’offrent pas de solution simple à la violence, parce qu’il existe « des pathologies dans la religion ». Cela conduit Joseph Ratzinger à considérer que la religion doit trouver dans la raison une sorte de repère et même un organe de contrôle. Cela vaut pour toutes les religions, y compris le christianisme.

La manière dont Benoît XVI a articulé raison et foi n’a-t-elle pas rendu difficile le dialogue avec nombre de philosophes défendant une autonomie de la raison ?

M. F. : Effectivement. De ce point de vue là, même à Munich, il n’y a pas vraiment eu dialogue entre Joseph Ratzinger et Jürgen Habermas. On a deux positions qui se font face, qui essaient d’intégrer chacune quelque chose de l’autre position, mais jusqu’à un certain point seulement.

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Pour Joseph Ratzinger, la raison moderne doit être rappelée à ses propres limites. Et les sociétés modernes sont menacées par le relativisme, favorisé à ses yeux par le pluralisme qui caractérise nos sociétés. Il y a chez lui l’idée que le christianisme a une responsabilité incontournable dans les sociétés. Non pas qu’il doive leur dicter ce qu’elles ont à faire, mais quand même…

Ses années à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) ont été marquées par une série de condamnations de théologiens. Quelle relecture en faites-vous ?

M. F. : Comme préfet de la CDF, Joseph Ratzinger a pris des positions critiques par rapport à certains courants de la théologie. Le cas le plus fameux fut celui des théologies de la libération. Une première instruction de la CDF a dénoncé sévèrement le risque de collusion avec le marxisme et le danger de réduire la catégorie de salut à celle de libération.

Cependant, quelque temps après, une seconde instruction plus ouverte a été publiée, au point que le thème de « l’option préférentielle pour les pauvres », venue de la théologie de la libération, a fini par passer dans le langage du magistère de l’Église.

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Autre exemple, dans le champ de la théologie des religions : la déclaration Dominus Iesus (2000). Dans ce texte, Joseph Ratzinger a voulu souligner l’unicité du Christ et l’universalité de l’offre de salut offerte par le Christ, dans un moment où des voix théologiques pouvaient laisser entendre une certaine remise en cause de ces affirmations.

Je crois qu’il faut aujourd’hui regarder ces interventions comme des points de repère. L’erreur serait de croire que, au nom de ces rappels, il n’y aurait plus de place pour une recherche théologique ouverte. Sur la théologie des religions, j’ajouterai que, devenu pape, Joseph Ratzinger a manifesté son souci de s’inscrire vraiment dans la ligne de Jean-Paul II et de la rencontre d’Assise.

La déclaration Dominus Iesus, qui refusait aux communautés protestantes le statut d’Églises, a profondément choqué les protestants. N’a-t-elle pas freiné l’œcuménisme ?

M. F. : Ces propos ont effectivement été mal reçus par les Églises issues de la Réforme protestante. C’est d’autant plus regrettable que ce n’était pas l’objet premier de cette déclaration. On peut dire que le problème reste encore à résoudre aujourd’hui. Dans l’Église catholique, nous restons tributaires de la formule de Vatican II dans Lumen Gentium (§ 8), qui dit que l’unique Église du Christ « subsiste » dans l’Église catholique. Pour moi, il y a un enjeu important à ce que l’Église catholique, sans cesser de confesser une seule Église, puisse reconnaître davantage l’ecclésialité des autres Églises et communautés chrétiennes.

(À lire aussi« Benoît XVI et les traditionalistes, une occasion en partie manquée »)

Sur l’œcuménisme, Benoît XVI a fait des pas significatifs par la suite. Lors de son voyage en Allemagne en 2011, il a déclaré aux orthodoxes : « Nous pouvons espérer que ne soit pas si loin le jour où nous pourrons de nouveau célébrer l’eucharistie ensemble. » Et, lorsqu’il s’est rendu à l’ancien couvent des augustins où Luther avait été moine, il a commenté la parole de Luther « Comment puis-je avoir un Dieu miséricordieux ? » en la considérant comme devant être notre question aujourd’hui.

Que peut-on dire de sa lecture du concile Vatican II ?

M. F. : Comme le père Henri de Lubac, il a considéré que le Concile avait marqué un tournant dans la vie de l’Église et qu’il marquait une nouveauté qui n’était pas une rupture. Pour lui, le Concile effectue un retour à la grande tradition de l’Église, en particulier celle des Pères de l’Église, sans être toutefois pure répétition.

Dans le respect de la tradition, n’y avait-il pas moyen d’aller plus loin ?

M. F. : Après Vatican II, d’autres lectures ont davantage reconnu le pluralisme radical de nos sociétés. L’œuvre du théologien Karl Rahner est exemplaire de ce point de vue là. Elle conduit à envisager autrement la question de Dieu et la place des chrétiens dans la société.

Une chose continue à me surprendre à ce sujet. Quand j’ai rencontré Benoît XVI lors de la remise du prix Joseph-Ratzinger, il m’a demandé : « Est-ce qu’il y a en France des travaux sur l’œuvre de Karl Rahner ? » Il semble que, jusqu’à la fin de sa vie, il était conscient d’une différence entre sa pensée et celle de Rahner et qu’il s’intéressait à la réception de son œuvre.

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Lire Joseph Ratzinger théologien
Comme théologien, enseignant puis pape, Joseph Ratzinger a publié plus d’une quarantaine de livres, traduits en français, parmi lesquels :

*La Foi chrétienne hier et aujourd’hui (1969) (Cerf, 2020)

*Un seul Seigneur, une seule foi (Mame, 1971)

*Regarder le Christ (Fayard, 2005)

*La Mort et l’Au-delà (Fayard, 2005)

*L’Esprit de la liturgie (Ad Solem, 2001)

*La trilogie Jésus de Nazareth (t. 1, Flammarion, 2007 ; t. 2, Le Rocher, 2011 ; t. 3, Flammarion, 201