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Jean-Pierre Denis : « Benoît XVI a permis aux catholiques de faire leur deuil de toute illusion dominatrice ». Jean-Pierre Denis, La Croix 31.12.2022

tribune
Jean-Pierre Denis
Ecrivain et journaliste. Directeur du développement éditorial chez Bayard
Après le décès à 95 ans du pape émérite Benoît XVI ce samedi 31 décembre 2022, Jean-Pierre Denis salue la disparition du « dernier grand intellectuel européen du XXe siècle », un « mécontemporain » vivant son époque comme une véritable épreuve. Il laissera à la postérité quelques diagnostics brillants, du danger du relativisme au nécessaire équilibre entre foi et raison.

Jean-Pierre Denis, le 31/12/2022 à 15:23
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Jean-Pierre Denis : « Benoît XVI a permis aux catholiques de faire leur deuil de toute illusion dominatrice »
Le pape Benoît XVI salue la foule au parc Blonie, le 27 mai 2006 à Cracovie.
ALBERTO PIZZOLI/AFP
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Le dernier grand intellectuel européen du XXe siècle vient de mourir. Intellectuel, le mot ne fera pas débat. On ne saurait qualifier autrement cet universitaire égaré en papauté. Benoît XVI était fait pour les notes de bas de page, pas pour la communication planétaire. À rebours d’un magistère d’allure accessible, mais se révélant filandreux et indigeste, ses idées étaient d’abord ardues, ensuite limpides. Il fallait le suivre le crayon à la main. On ne le lisait pas, on le relisait. On se sentait enfin un peu moins bête. Sa pensée était toujours un acte de foi dans la pensée.

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Européen ? Allemand francophile et polyglotte, bras droit du pape polonais, il était de l’Ancien Monde par toute sa culture, jusqu’au bout de ses doigts mozartiens. Nul hasard s’il choisit Benoît comme nom de pontificat : double hommage à l’inspirateur de l’Europe monastique et à Benoît XV, cet incompris qui tenta de convaincre Allemands et Français de ne pas s’entretuer. Pas de hasard non plus quand ce latiniste sentimental s’offrit le luxe un peu snob de renoncer à son pontificat en une langue connue de toute l’Europe, celle d’avant.

Brillant théologien
Du siècle dernier ? Qu’il ait connu l’an 2022 ne doit pas nous tromper. Ce catholique bavarois enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes connaissait d’expérience les totalitarismes athées. Vingt ans après, le brillant théologien était plongé au cœur de Vatican II. Un concile dont il était devenu sur ses vieux jours, non sans ironie de l’Histoire, l’ultime témoin. Voilà qui vous campe une pensée en plein milieu de son XXe siècle. Et c’est le genre de position dont un homme comme Ratzinger ne bougera jamais.

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Au fond, ce mécontemporain – le mot est de Péguy – n’a jamais connu son époque que comme une épreuve à subir dans la foi, l’espérance et la charité. Si l’intelligence de Benoît XVI a souvent dépassé son temps, ce fut toujours à reculons. Le dernier intellectuel européen du XXe siècle est aussi le dernier penseur du second millénaire. Seul contre tous, ou presque, il rêva de redonner à une civilisation judéo-chrétienne à bout de souffle son principe d’unité, sa vitalité, son harmonie perdue.

Il espérait sauver ainsi une culture qui, avouons-le, ne lui avait rien demandé. C’est aussi ce qu’exprime son « herméneutique de la continuité », ce mythe d’une croissance lisse et continue de la Tradition, comme si culte et culture pouvaient toujours être préservés des mutations historiques et des cassures civilisationnelles par la seule force de l’intellect. Comme le soulignent le discours des Bernardins et la si mal reçue conférence de Ratisbonne, il vivait à l’âge d’or de la théologie médiévale : là battait, jadis, entre érudits, le cœur de la chrétienté.

Dictature du relativisme
Sur le fond, le diagnostic de Ratzinger demeurera. Citons brièvement, plus à titre d’exemple qu’à des fins d’exhaustivité, quelques aspects marquants.

1/ La dictature du relativisme. Nous sommes « des nains juchés sur les épaules des géants », disait Umberto Eco, reprenant la formule d’un philosophe médiéval, Bernard de Chartres. Mais les nains ont tordu le cou à ceux qui les portaient. Ils font au ras du sol la pluie et le beau temps. La simple expression de la « loi naturelle » nous révulse. Nulle vérité n’est absolue, moins encore révélée. Chaque individu est la mesure de toute chose. La force dissolvante de ce principe inquiétait Benoît XVI. Il le savait à l’œuvre dans le monde comme dans l’Église.

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Mais s’il allait jusqu’à parler de dictature, c’est parce que le libéralisme éthique ne souffre ni limite ni critique. Moins nous croyons en une autorité supérieure à la nôtre, plus nos petites sensibilités et nos microscopiques certitudes deviennent comme ces vierges qu’un rien effarouche. Et cela nous rend incapables d’entendre la voix d’un Autre. L’effacement de Dieu est programmé.

Foi et raison
2/ L’équilibre de la foi et de la raison. L’une tient l’autre, et réciproquement. Privée des secours de la raison, la religion sombre dans le fanatisme ou retourne au paganisme. Sortie des rails de la religion, la raison verse dans le fossé. Cela donne aussi bien le totalitarisme du siècle dernier que les confusions éthiques de notre époque. Complotisme, perte de sens démocratique, montée des intolérances, retour des idéologies du soupçon de l’autoritarisme, émergence des États carnassiers, aveuglement climatique…

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Et les Lumières dans tout ça ? Benoît XVI avait vu juste. Enfin seule, après avoir systématiquement détruit les vérités prépolitiques qui la soutenaient, la raison entre en une crise profonde. On y croit moins encore qu’à la religion, c’est dire !

Minorités créatives
3/ L’avenir appartient aux « minorités créatives ». La pensée Ratzinger n’est pas (seulement) conservatrice ou réactionnaire. Preuve massive : sa renonciation, un vrai dynamitage idéologique. La frange réactionnaire de l’Église ne s’en est jamais remise. Quant aux progressistes, ils ne peuvent tout de même pas aller jusqu’à lui dire merci. Ce départ choisi est pourtant l’acte le plus novateur et le plus puissant qu’un pape ait fait depuis des décennies, peut-être des siècles. Désacralisation radicale de la papauté, la renonciation remet le Christ au centre du village. Il y a, derrière ce geste d’un homme s’avouant fragile et reconnaissant son échec, une puissante pensée politique, théologique et spirituelle.

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L’optimiste Jean-Paul II pouvait encore croire qu’il soulèverait la chrétienté par la force de sa foi et que l’on s’inclinerait à nouveau devant la « splendeur de la vérité ». Benoît XVI, plus réaliste, a permis aux catholiques de faire leur deuil de toute illusion dominatrice et de tout fantasme majoritaire. Ne pas s’illusionner sur la reconquête, ni même sur les chances de succès à court terme. Renoncer au désir mondain. Que le « petit reste » se contente de tenir le dépôt de la foi sera bien assez, et très biblique. On ne s’étonnera pas que ce pape ait compté dans la vocation de tant de jeunes prêtres, aujourd’hui comme orphelins. Il les a intellectuellement réarmés et convaincus qu’ils avaient l’avenir pour eux, mais en Dieu seul. Voilà pourquoi Joseph Ratzinger sera un jour proclamé docteur de l’Église. Cette même Église que Benoît XVI n’est pas parvenu à soigner.